Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Bernard Ollier
13 mai 2009

le noir selon Bernard Ollier

et voici l'article in extenso paru dans les Lettres Françaises du 9 mai au sein du dossier sur "le Noir absolu et les leçons de ténèbres"

Le noir selon Bernard Ollier

Les occurrences du noir sont innombrables dans les  romans de Bernard Ollier. Le noir cependant n'y qualifie jamais un décor, une atmosphère ni même un état d'âme : il pénètre l'écriture tout entière à mesure que le langage s'évertue à approcher les pensées qui se dérobent.

Dès lors, ce n'est plus tant le noir de la couleur, c'est ce gris noir de l'indistinct qui nous gagne dans des textes où scènes, personnages, anecdotes se croisent, se multiplient, se répètent, s'enchevêtrent et se brouillent. Et ce noir particulier trouve son illustration à chaque fois que l'on rencontre un des nombreux peintres qui parsèment les romans. Le noir ne se distingue alors du gris que par le temps du travail inlassable des peintres qui l'assombrissent jusqu'à le mesurer à l'ombre de la mort.

 Sylvie Dufort, le modèle de Soulié-Ribou, avait la prétention de ses seins laiteux et de ses fesses blanches. Mais quand elle regarde au tableau, à la fin de la pose (curiosité bien naturelle) elle se trouve offensée de ne voir comparaître aucune ressemblance à ses formes pâles, ni même aucune forme en comparaison d’une ressemblance quelconque ! ! De rage, elle se rhabille aussitôt vivement, en recommandant à l’artiste de Vous n'avez qu'à prendre une négresse, dorénavant, pour me remplacer, et une bien noire ! Enfin, en se rajustant, elle refait sauter sa poitrine hors de son corsage et elle lui secoue sous le nez la démonstration qu’il n’a plus besoin de la revoir, Espèce de gros cochon ! …Après cette sortie, Soulié-Ribou reste impassible. Il se retourne face à sa toile et la regarde en plissant les yeux, puis en les fermant tout à fait. Dans sa contemplation, il parle et réfléchit à voix haute la pensée des mots qui s’adressent à la jeune beauté, (les mots), tout autant qu’à lui-même, (la pensée). Vous n’avez donc pas remarqué que j’étais mort ?  Ah ! il est vrai que vous n’avez qu’à peine l’âge d’être bien jeune, mais vous saurez qu’il faut d’abord avoir été mort si l’on veut être peintre en vérité … Oui, avoir été mort… Si on ne l’a pas été comme je l’ai été, on ne peut que barbouiller pour les salons des jobards, mais jamais pour le dedans de nulle part, qui est la réalité vraie de ce qui n’y a pas. Est-ce que vous pouvez au moins comprendre ça ? …Mais la fille avait déjà traversé l’atelier (…) et dévalé la rue des Grandes Pentes.” (1)

Tout comme les textes que l'on a pu lire l'an dernier sur les stèles de l'exposition Ombres heureuses au musée des Beaux-Arts de Rouen, ce récit pourrait décrire  la pratique picturale de Bernard Ollier : il laisse en effet imaginer les "grands dessins" qui ouvrent sur ce que l'on voit les yeux fermés, tout comme la série actuelle des "Portraits de regard". Ces portraits, de même celui de Soulié-Ribou, ont dû être ressemblants au début, mais à force de recouvrements et de recouvrements, ils ont été réduits à un quasi noir. Tout ce qui les liait à l'univers du social et au monde extérieur a disparu pour ne permettre qu'une immersion à travers le noir plus intense des pupilles, dans le regard de qui vous regarde. Tout le contraire d'Andy Warhol.                                                      

Principe Laval

(1) EX LIBRIS, roman à reconstituer, Édition pré originale p. 159

"Ombres heureuses", "Grands dessins" et "Portraits de regard" à voir sur "http://www.bernardollier.com"

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité